Dernière nuit à Twisted River (Last Night in Twisted River) – John Irving
L’histoire (Quatrième de couverture):
Au nord du Nord, au pays des bûcherons et des flotteurs de bois -les draveurs -, il était une fois un petit cuisinier boiteux et son fils de douze ans, gamin impressionnable à l’imagination peuplée d’ours indiscrets. Ils avaient pour garde du corps Ketchum, l’ogre anarchiste, ivrogne, rusé, noiseur, faux illettré à l’intelligence incisive.
A l’image de la Twisted River torrentielle, ce récit d’une vengeance impitoyable bourlingue son lecteur d’ethnies en états sur trois générations, rencontre explosive entre l’Orient et l’Occident, comédie de mœurs culinaires, tragédie des portes mal fermées entre la splendeur d’une nature meurtrière et la quiétude imprudente du foyer.
Un chien héroïque, une Mustang bleue fantôme, une ange atterrie dans la fange : le chef Irving nous réserve toutes les surprises de son art consommé dans un roman qui se dévore et se déguste jusqu’à la dernière page. Bombe glacée pour tout le monde au dessert !
Mes impressions de lecture:
Dernier roman de John Irving paru début 2011, "Dernière nuit à Twisted River" m’a permis de me plonger une fois de plus dans l’univers que cet auteur que j’admire. Fidèle à lui-même, il nous livre ici une nouvelle fresque où nous suivons la vie de Daniel Baciagalupo.
Lorsque le jeune Daniel tue par erreur la maîtresse de son père Dominic, ceux-ci fuient leur vie de Twisted River pour échapper aux représailles du shérif Carl, violent et alcoolique. Aidés de leur ami Ketchum, bucheron bourru au grand cœur, ils vont tenter de fuir leur passé pour se reconstruire, malgré les accidents que la vie leur réserve, et les souffrances secrètes que Dominic camouflent à son fils.
Une fois de plus, Irving nous livre une œuvre où les protagonistes essaient de fuir un passé dont ils savent qu’il les rattrapera tôt ou tard. Ils souhaitent y échapper, tout en l’attendant. Car paradoxalement, c’est en y faisant face que l’on tourne le plus facilement la page. Ce fatalisme cher à Irving occupe ici les préoccupations de nos personnages et régit le moindre de leurs actes. Le destin est forgé par les "accidents", par définition inévitables. Mais j’adore la manière dont Irving expose ces drames annoncés, préparant le lecteur à la rudesse de certaines scènes. Cela lui permet d’ôter le mélodramatique pour se focaliser sur les conséquences de ces "accidents".
L'ennui avec le temps, c'est qu'il est inexorable.
Ce roman s’ancre définitivement dans un style irvinien – la patte de l’auteur se retrouve tout au long du livre. D’abord la foule de détails et d’éléments télescopiques qui jonchent le récit. Ca part dans tous les sens, et pourtant l’auteur retombe toujours sur ses pieds, utilisant chacune de ses digressions à bon escient pour former un tout où rien n’est laissé au hasard. Que ce soit une parachutiste nue, une Mustang bleue sans conducteur, une poêle en fonte, ou encore une casquette ornée d’un chef indien, dans le monde d’Irving, chaque chose trouve son rôle ou sa symbolique.
Malheureusement, je dois avouer que sur ce point, j’ai été perturbé par certains enchaînements. En imbriquant scènes du "présent" et scènes du passé, j’ai parfois eu du mal à resituer certaines bribes de texte à leur contexte. Suivant habituellement facilement l’auteur, cette structure m’a gêné dans ma lecture à certains moments.
Évidemment, les lecteurs confirmés pourront retrouver les thèmes récurrents et chers à l’auteur dans ce récit qui, selon moi, n’a jamais autant contenu autant de références propres à Irving : les ours, le fatalisme, le rôle de la femme (tantôt garce et manipulatrice, tantôt maternelle et protectrice [celle-ci étant souvent bien en chair]), les accidents de voiture, le travail d’écrivain… Sur ce dernier thème, on reconnait d’ailleurs une réelle transposition des méthodes de travail d’Irving sur celles du protagoniste (lui aussi écrivain dans l’histoire). La faculté d’Irving à imposer "le livre dans le livre" m’a toujours impressionné et toujours beaucoup plu ; je n’ai pas été déçu sur ce point-là !
En prime, l’auteur nous livre un regard critique sur la société et la politique américaine, en particulier sous les mandats de G.W. Bush lors de la guerre en Afghanistan. Se protégeant derrière son statut américano-canadien, il ose mettre le doigt sur des sujets sensibles et des vrais débats de fond.
De toute évidence, ce cocktail contient tous les ingrédients qui font que ce nouvel Irving reste dans la lignée de l’œuvre de l’auteur, dans son style que je reconnaitrais entre mille. Ce n’est toutefois pas son meilleur pour moi, avec certaines digressions difficiles à suivre, et un effet de surprise qui parfois s’essouffle. Mais les fans du genre apprécieront très fortement !
Ma note :