Querelle de Brest - Jean Genet
Présentation de l’éditeur :
À travers les aventures du marin Querelle, tout juste débarqué à Brest et déjà prêt à semer le trouble dans les corps et dans les coeurs, Jean Genet transfigure la mythologie du monde portuaire et de sa faune interlope: a-t-on déjà célébré avec autant de puissance la beauté du corps des hommes et de la prédation érotique ? Non. Un livre éblouissant.
Mes impressions de lecture :
Il y a des lectures qu’on aborde pour l’évasion, d’autres pour se divertir, d’autres encore pour apprendre, découvrir. Et puis il y a les livres qui attirent, mais qui s’annoncent comme une expérience à part, hors du temps et des sentiers battus. C’est dans cette optique que j’ai choisi et appréhendé « Querelle de Brest ».
Georges Querelle est un jeune matelot dont le navire, le « Vengeur », fait une escale à Brest. Dans le brouillard de cette vile vont alors se jouer des drames passionnelles où chacun joue son rôle avec maestria. Querelle côtoie tour à tour Seblon, son lieutenant de vaisseau secrètement épris du garçon, Nono et Madame Lysianne, tenanciers de l’infréquentable et immorale « Féria », l’inspecteur Mario et son jeune indic Dédé, ou encore Gil Turko, jeune maçon naïf. Lorsque Querelle assassine froidement Vic, matelot et ami, la brèche s’ouvre, et Brest devient alors le théâtre de manipulations sordides et dangereuses.
Ce qui m’a avant tout frappé dans ce récit, c’est l’omniprésence du vice qui ronge l’ensemble des personnages. Entre meurtres, mensonges et pulsions homosexuelles, ils baignent dans une obscurité sordide aussi épaisse et palpable que le brouillard brestois. Ici, il n’y a pas de gentils ni de méchants. La frontière entre l’amour et la haine est infime, voire inexistante.
En particulier, l’homosexualité, ou plutôt le sexe entre hommes (l’auteur précisant qu’aucun des personnages du récit n’est réellement « homosexuel »), est le thème pivot de l’histoire. Les attirances vont bon train, et les jeux de séduction, reposant principalement sur des rapports de force, s’ajoutent à la perfidie des manipulations et des relations entre les protagonistes.
Pour la première fois Querelle embrassait un homme sur la bouche. Il lui semblait se cogner le visage contre un miroir réfléchissant sa propre image, fouiller de la langue l’intérieur figé d’une tête de granit. Cependant, cela étant un acte d’amour, et d’amour coupable, il sur qu’il commettait le mal. […] Les deux bouches restèrent soudées, les langues en contact aigu ou écrasé, ni l’une ni l’autre n’osant se poser sur les joues rugueuses où le baiser eût été signe de tendresse.
Au-delà de la concupiscence des personnages, certainement représentative du monde de la Marine de l’époque, et des ports en général, l’auteur nous renvoie également l’image d’une homosexualité taboue en ce début de vingtième siècle, complexe et dérangeante, pour soi comme pour les autres. « J’suis pas pédé » diront les hommes qui succomberont à la tentation avec un autre homme, comme pour se dédouaner du fardeau qu’il faudrait alors porter, la fierté et la virilité restant les symboles d’un vrai « homme ».
Je dois avouer que j’ai trouvé la lecture de ce livre difficile pour plusieurs raisons.
D’abord, Genet semble avoir écrit cette histoire d’une traite. Pas de chapitre, pas de réelle transition entre les différentes scènes. On passe parfois d’un personnage à l’autre dans un même paragraphe. Ce style est symptomatique des fréquentes digressions de l’auteur. Peu d’action, peu de dialogues, ou bien systématiquement entrecoupés de l’analyse des pensées et sentiments des personnages. Pourquoi notre héros agit-il de la sorte ? Que pense-t-il ? Un style un peu long, et souvent difficile à suivre.
L’auteur laisse également très peu de repères au lecteur pour jalonner son récit. L’histoire s’ouvre telle une préface, comme une lettre au lecteur, pour finalement enchaîner sur des citations hors de propos, puis nous parler de Querelle. Peu de repères temporels également. On ne sait pas vraiment quand se situe l’histoire (mis à part quelques rares indices), ni comment s’enchaînent les différentes scènes, certaines étant parfois antérieures à celles qui les précédaient.
Les personnages sont également très complexes, et on ne sait pas vraiment la motivation de leurs actes. Tandis que l’auteur nous parle de ce qu’ils ressentent à l’instant présent, le lecteur ne sait pas toujours les raisons qui les poussent à agir tel qu’ils le font, ce qui est très déstabilisant. Querelle reste le plus complexe de tous, puisque qu'en refermant le livre, je ne savais toujours pas si je le considérais comme un monstre manipulateur et sans coeur, ou comme un homme fragile prisonnier de sa peur et de ses doutes.
Enfin, un avertissement qui n’est pas des moindres, il est à noter que l’auteur emploie souvent un langage très cru et explicite qui n’est pas du tout approprié à tous les lecteurs. L’auteur souhaite en effet refléter les pensées et actes de ses personnages dans ce qu’ils ont de plus entier. Cet hyper-réalisme pourrait bien choquer les lecteurs les plus sensibles.
Comme je le disais en début de billet, ce livre a vraiment été une « expérience » de lecture. Difficile de dire si j’ai aimé ou non ce roman à part. Le style de Genet est très particulier, l’histoire dérangeante. Il y a finalement beaucoup de choses à dire sur ce roman dans lequel, au final, il ne se passe pas grand-chose. Dans le monde de Genet, l’arrivée d’une personnalité telle que Querelle bouleverse les équilibres, et chacun fait face à son destin, avec toutes les armes qu’il a en main. Cela constitue un des romans fondamentaux de la littérature homosexuelle du XXème siècle.
Ma note:
Pour aller plus loin:
- Cette réédition en tirage limité (Gallimard - L'imaginaire) contient également l'adptation du roman en DVD, film de 1982 de Rainer Werner Fassbinder (je ne l'ai pas encore regardé, mais ne manquerai pas de laisser mes impressions sur le film également)
- Ce roman a paru pour la première fois en 1947, sans nom d'éditeur, dans son texte intégral. Les éditions suivantes ont été légèrement censurées.
- Certaines éditions (désormais devenues rares) du roman s'accompagnent d'illustrations érotiques réalisées par Jean Cocteau.